Exposition temporaireJoséphine Baker | Une vie d'engagements
25 juin | 29 octobre 2022
Le Conseil départemental de la Haute-Garonne rend hommage à Joséphine Baker, femme libre et engagée.
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Dans cette exposition temporaire, le Musée départemental de la Résistance & de la Déportation suit le parcours de vie singulier et exemplaire de Joséphine Baker.
En mêlant archives historiques, œuvres emblématiques et créations contemporaines venues de nombreux musées, elle invite à poser un nouveau regard sur la chanteuse, danseuse, meneuse de revue et actrice française d’origine américaine. Joséphine Baker, résistante au sein des Forces Françaises Libres, s’engagea, avec courage, pour défendre les valeurs de la République face à l’idéologie nazie et ses rouages mortifères. Après la guerre, elle n'a eu de cesse de poursuivre son combat pour la citoyenneté et les droits humains, fidèle à son engagement contre le racisme et toutes les discriminations.
Du quartier noir de Saint‐Louis dans le Missouri aux planches du Music‐hall parisien, la personnalité de Joséphine Baker est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Son parcours exemplaire offre une formidable opportunité pour dire la République et une part importante de l’histoire du XXème siècle. Cette exposition qui met en lumière son existence et ses batailles à l’aune de son engagement pendant la Seconde Guerre mondiale, et permet d’évoquer son amour pour la France, mais également son combat aux côtés de ceux qui luttèrent contre le racisme et l’antisémitisme dans le monde. Cette démarche conduit à une double approche, biographique et culturelle, qui met en avant l’universalité des combats pour les droits humains.
Derrière un exotisme fantasmé
Arrivée à Paris en 1925, Joséphine Baker ressent une liberté inconnue, elle qui a grandi au cœur du Missouri et de la ségrégation raciale. Elle est la tête d’affiche de La Revue Nègre, au Théâtre des Champs-Élysées. Noirs et Blancs partagent la même scène et les mêmes dancings, du jamais vu pour elle.
« Certaines poses de Miss Baker, évoquent tous les prestiges de sa haute stature nègre. Le sens plastique d‘une race de sculpteurs et les fureurs de l'Eros africain nous étreignent. Ce n‘est plus la dancing-girl cocasse, c'est la Vénus noire qui hanta Baudelaire. »
André Levinson, Comoedia 12 octobre 1925
L’artiste Paul Colin commence à la dessiner, transcrivant dans ses œuvres l’énergie et l’exubérance de la danseuse, qui incarne avec fougue la joie de vivre des Années folles et le véritable « tumulte noir » traversant l’Europe. Alors qu’on demande à la jeune américaine de danser nue, dans des mises en scène caricaturales et fantasmées de l’Afrique, elle saisit l’opportunité de cette notoriété qui s’offre à elle. Avec la fameuse ceinture de banane, elle crée un personnage : « La Baker ». Tout Paris se divise, s’enthousiasme ou s’encolère, avant qu’elle n’enflamme l’Allemagne et l’Autriche qui l’invitent malgré l’idéologie d’extrême-droite et le racisme structurel de la vieille Europe.
Muse …
Joséphine Baker devient la muse des artistes de son époque, comme en attestent les nombreuses œuvres qu’ils lui consacrent et qui contribuent à faire d’elle l’égérie des nuits parisiennes. Photographes, peintres, sculpteurs, écrivains, nombreux sont ceux qui tombent sous son charme. Des auteurs, comme Georges Simenon, dédient des livres à cette mystérieuse Vénus d’ébène des magazines, à cette artiste qui frappe par sa simplicité et sa gentillesse autant que par son indépendance et son humour.
… et pionnière
Surfant sur son succès, Joséphine Baker devient également une « star ». Le grand public la retrouve au cinéma dans des films comme Princesse Tam-Tam ou Zouzou, au côté de Jean Gabin. Elle devient une valeur sûre commerciale dans des publicités pour des marques de luxe mais aussi pour sa propre gamme de gel coiffant. Ainsi, dès les années 30 elle est une vedette populaire, la première femme noire à gagner le cœur des Français.
Une patriote venue d’ailleurs
« J’ai deux amours, mon pays et Paris … »
En 1937, Joséphine épouse l’industriel juif Jean Lion et demande à être naturalisée française.
À cette période, elle s’affranchit peu à peu de son image d’artiste de music-hall. Elle s’engage en 1938 au sein de la LICA (Ligue internationale contre l’Antisémitisme devenue la LICRA Contre le Racisme et l’Antisémitisme) à la suite des pogroms allemands de la « Nuit de cristal ». Des années plus tard elle intègre la franc-maçonnerie, où elle poursuit son engagement en faveur de l’universalisme.
En 1939 c’est en tant que Française qu’elle entre en guerre. Elle devient la marraine de près de 4000 soldats et se rend sur le front pour soutenir le moral des troupes. Patriote, elle se met au service du deuxième bureau de Renseignements français. Après la défaite, elle quitte Paris occupée et refuse de s’y produire.
Une « honorable correspondante »
Catel Muller
« C'est la France qui m'a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. […] Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd'hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l'entendez.»
Propos rapporté par Jacques Abtey, in La guerre secrète de Joséphine Baker, 1948
En 1939, alors que la guerre est déclarée, Joséphine Baker est présentée au capitaine Jacques Abtey. Ce dernier est chef du contre-espionnage militaire et chargé de recruter des vedettes et personnalités dont les déplacements fréquents n’éveilleront pas les soupçons de l’ennemi : les « honorables correspondants ». Il devient alors son officier de liaison.
En 1940, alors que la France a perdu la guerre, Joséphine Baker et Jacques Abtey se rallient au général de Gaulle et se replient en Dordogne, au château des Milandes, effectuant des missions clandestines. Plus tard dans la même année, l’actrice en tournée sert de couverture à l’officier qui espionne les mouvements de troupes allemandes.
Puis en 1941, Baker et Abtey gagnent Alger, officiant désormais pour la France Libre. Après le succès de l’opération Torch, Joséphine met son image au service de la propagande de la France Libre.
Les combats d’après-guerre
Lorsque Martin Luther King prononce « I have a dream » lors de la marche de Washington en août 1963, Joséphine Baker est à ses côtés. Elle est la seule femme à prendre la parole.
« j’ai été reçue dans des palais de reines et de rois, dans des maisons de chefs d'État. Mais je n’ai pas eu le droit d’entrer dans un hôtel d’Amérique ni de demander une tasse de café. Cela m’a rendue folle. Et quand je deviens folle, vous savez que j’ouvre ma bouche. Et alors là, attention, quand Joséphine l’ouvre, on l’entend dans le monde entier. »
Extrait du discours de Joséphine Baker, 1963
Lors de ses déplacements aux États Unis, celle qui est désormais militante est surveillée par le FBI. Afin de la discréditer, la CIA la taxe de communiste, elle sera même interdite de séjour dans son pays d’origine.
En France, elle est un soutient indéfectible pour le général de Gaule avec qui elle entretient une correspondance suivie., et ce jusqu’en 1968 où elle défile dans sa tenue de FFL médaillée sur les Champs-Élysées.
Les Milandes, un village du monde
En 1947, Joséphine Baker épouse Jo Bouillon. Dès 1949, le couple ouvre au public le domaine de leur château et ses attractions : « Les Milandes, village du monde, capitale de la fraternité ».
En 1949, Joséphine rentre d’un voyage au Japon avec ses deux premiers enfants adoptés : Akio et Teruya. Ils sont bientôt douze, venus des quatre coins du monde, de cultures et de religions différentes. L’artiste écrit un livre sur sa « tribu arc-en-ciel ».
« Ça ne sert à rien d’adopter des enfants de toutes les couleurs et de les garder pour soi ! Il faut les montrer, que les gens voient que c’est faisable, que des enfants de races différentes, élevés ensemble, comme des frères, n’ont pas d’animosité, que la haine raciale n’est pas naturelle. C’est une invention des hommes. »
Joséphine Baker, citée dans Joséphine Baker et sa « tribu arc-en-ciel », au nom de la fraternité universelle
Les héritages de Joséphine Baker
Alors qu’elle vient d’entrer au Panthéon, Joséphine Baker ne cesse d’inspirer et questionner. Tour à tour muse, totem, objet de désir pour ses contemporains, elle est aujourd’hui un symbole aux facettes multiples : féministe, militante antiraciste, engagée dans la LICRA.
Elle est toujours une icône populaire. Elle inspire des artistes comme Beyoncé engagée dans le mouvement Black Lives Matter. Elle incarne la lutte contre l’homophobie pour le créateur Jean-Paul Gaultier ou l’actrice transgenre Laverne Cox.
Aujourd’hui figure de la République française, elle représente, telle la « Marianne noire » du MDR&D, l’universalisme, et une Liberté inébranlable et insoumise.
©CD31/Catel Muller